240 pages 15 x 23 20 euros |
Alors que Joyce fit tenir son Ulysse dans vingt-quatre heures, Jean Legrand fait tenir son roman en quelques minutes et les quelques heures qui vont suivre. Les minutes où deux regards se croisent. Le regard de Louise, sa compagne, croise celui de Jean alors que celui-ci vient de lire quelques lignes d’un journal. Voilà le prétexte… “Réfugiés” dans un mas, près de Montpellier, ils s’étaient jurés de ne plus jamais laisser le monde extérieur et ses médias venir envahir leur espace intime, depuis les atrocités révélées, les champs de ruines… Ce petit “réflexe” anodin (la lecture du journal) et le regard que lui lance alors Louise, provoquent un long monologue au cours duquel il revient sur leur solitude, leur exil, leur passé commun, de lutte, de parisiens, leur passé commun, mais aussi le sien propre et ce qu’il sait de celui de Louise avec toute la tendresse de l’amant. Prétexte encore, pour Jean Legrand, à parler d’amour et de révolution, de cet amour, entier, pour la femme à la chair adorée, mais qui dût subir, elle aussi, souffrances et désillusions. Ce roman, écrit entre 1956 et 1959, se compose comme un ultime manifeste visant la synthèse de la vie et de l’art, sans que ni art ni vie ne soient diminués mais au contraire où chacun atteint ses pleins pouvoirs, sa connaissance ultime. Anticipant sur les préoccupations de ses contemporains, notamment des situationnistes, mais surtout œuvre d’un Jean Legrand, toujours singulier, à lire de toute urgence…
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Jean Legrand est né à Montpellier en 1910, il mourra en 1982 à Paris. À vingt ans il quitte le sud pour Paris où il entreprend un combat littéraire et idéologique qui sera sa vie même. Actif imprimeur et éditeur, notamment de Georges Bataille et de Benjamin Péret, il fréquente René Crevel et surtout Claude Cahun. Il ne sera jamais surréaliste, ni même un “compagnon de route”, trop singulier pour cela, même s’il défendra toujours leurs avancées face à la réaction. La guerre arrive, il imprime les tracts de Contre-Attaque de Bataille, publie ses manifestes et poèmes. Après quoi, Jean Paulhan, appuyé par Queneau, le défend, publie chez Gallimard, Le Journal de Jacques dans la collection Blanche et lui ouvre, à ses ami(e)s “Sensorialistes” et à lui, les colonnes des Cahiers de la Pleïade. Léon Pierre-Quint, premier biographe de Proust, éditeur-mécène des poètes du Grand Jeu, publie au Sagittaire, Jacques ou L’homme possible, premier volet, en fait, de sa trilogie ; le dernier volet, Jacques et Aurette, sera publié par Gallimard. De cette année 48 jusqu’à sa mort, Jean Legrand, se verra refuser tous ses manuscrits. La “suite” de sa trilogie demeure inédite, ainsi que plusieurs romans. Tandis qu’Ulysse vagabonde que nous publions aujourd'hui peut se lire comme le testament littéraire et intellectuel d'un écrivain exigeant et intransigeant qui resta d'une fidélité exemplaire à ses premiers engagements.
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